Couvrons-nous les yeux! C’est la saison des élections.
Qui dit campagne électorale dit publicités partisanes. Les partis s’en donnent à cœur joie et les taloches promettent de se multiplier jusqu’à la fin. Nous n’avons encore eu droit qu’aux premiers jabs, mais nous pouvons être certains que la cadence et l’intensité des coups bas ne feront qu’augmenter dans les semaines à venir.
Chaque parti nous gave de son message, et nous ne pouvons nous empêcher de commenter en détail le style et l’approche qu’ils utilisent. Chaque fois nous entendons : « Ces attaques manquent de tact », « La stratégie est à peine voilée » et « Pourquoi est-ce qu’ils ne parlent pas de leur programme dans leurs publicités, pour une fois? »
Chaque élection nous ramène dans Le jour de la marmotte : nous analysons le fleuve de publicités qui déferle devant nos yeux et invariablement, nous formulons plus ou moins les mêmes commentaires. Pourquoi? C’est parce que les publicités sont, elles aussi, toujours les mêmes. Au mieux, elles sont des variations sur un même thème.
Leur manque d’originalité n’est pourtant pas le principal crime ici.
Non, leur plus gros défaut est beaucoup plus élémentaire, et beaucoup plus évident : les publicités politiques canadiennes sont mauvaises, point final.
Le jeu est mauvais. La production est mauvaise. Le concept est mauvais. Même les aspects censés susciter des émotions sont mauvais. Il n’y a rien de bon, et il n’y a aucune excuse. On parle ici de campagnes qui coûtent des millions de dollars, et le produit fini n’est tout simplement pas à la hauteur. Ces publicités donnent l’impression d’avoir été réalisées sans budget ni effort.
N’ayons pas peur des mots : c’est un désert créatif, la panne sèche.
J’avais l’intention d’écrire un article amusant, un véritable piège à clic (vraiment, c’est mon boulot après tout). J’ai pris le temps de rechercher les publicités politiques canadiennes les plus réussies de l’ère moderne pour créer un palmarès des 10 meilleures, assorti de liens vers YouTube et de commentaires humoristiques.
Impossible. Rien à faire.
Les publicités actuelles sont mauvaises et les publicités passées le sont tout autant. Je me suis alors demandé : est-ce qu’il y en a déjà eu des bonnes?
Oui. À ma connaissance, au moins une. Celle-ci :

En un mot, cette publicité est majestueuse. Il y a beaucoup à dire sur Ronald Reagan et l’héritage qu’il a laissé, mais il s’agit d’une autre discussion. Sa campagne « Morning in America », et plus particulièrement ce petit bijou de 60 secondes, représente l’idéal à atteindre en matière de publicité politique.
Pour commencer, c’est bien fait. De véritables héros de la publicité, des pionniers d’une ère révolue, ont pris le temps de se dévouer corps et âme à sa confection. Cela suffit à l’élever bien au-dessus de la mare stagnante actuelle.
Mais la qualité dépasse la simple exécution : « Morning in America » met habilement en valeur les aspects positifs tout en masquant aussi habilement le négatif. Elle louange le leadership du président élu tout en lançant quelques pointes à un adversaire anonyme, le tout sans jamais descendre sous la ceinture. De la pure magie.
La vraie prestidigitation est toutefois à l’œuvre sur le plan du message.
En 1984, les Américains se faisaient presser le citron depuis près de vingt ans. Tous rêvaient de revenir aux glorieuses années de l’après-guerre. Cette publicité leur suggérait sans retenue que les beaux jours étaient de nouveau à l’horizon, et ce, grâce à leur commandant en chef.
Imbriquez ce message dans une structure narrative irréprochable et faites-en un produit technique sans faille… voilà la recette d’un véritable classique. Aucune insulte. Aucun coup sous la ceinture. Aucune remarque déplacée concernant une coupe de cheveux.
Bref, cette campagne englobait parfaitement l’esprit du temps et y mettait une touche romancée.
Voilà le genre de publicité que je souhaiterais voir envahir les ondes canadiennes et les médias sociaux. Une édification de la marque de chaque candidat à travers un contenu bien formulé et une production digne de ce nom. Un message qui incite les Canadiens à voter pour quelque chose plutôt que contre et qui élève la politique en faisant appel à la psyché collective au lieu de la traîner dans la gadoue.
Les publicités électorales sont conçues pour gagner des élections, pas des Lions à Cannes, mais toute publicité a un but tangible à atteindre avant de gagner des prix. Dans un monde raisonnable, l’atteinte du but engendre le gain des prix. Il suffit de regarder « Obama for America » pour voir que c’est possible même en politique. Je vous l’accorde, c’est un exemple exceptionnel, mais ne devrions-nous pas nous défaire de notre cynisme et élever un peu nos attentes par rapport à la plus importante campagne de marketing en quatre ans? Une campagne qui détermine la trajectoire d’un pays et qui touche directement des dizaines de millions de personnes?
Il m’apparaît très évident que oui.
Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour un « Morning in Canada »? Il reste à espérer que l’un des candidats produira l’un de ces majestueux levers de soleil d’ici le 19 octobre.