De tous les coins du Canada, de nombreuses parties prenantes s’activent dans le dossier du cannabis thérapeutique. Le regroupement pancanadien « Common Initiative for medical cannabis distribution in pharmacies », constitué de plus de 25 organisations (associations de pharmaciens, groupes de patients, producteurs de cannabis, compagnies pharmaceutiques, chaînes et bannières), s’est donné comme objectif de convaincre les décideurs gouvernementaux d’autoriser la distribution par les pharmacies du cannabis thérapeutique, et ce, le plus rapidement possible. Au Québec, l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) mène également des pourparlers à ce sujet avec les différents paliers gouvernementaux. La récente légalisation du cannabis à des fins récréatives fait en sorte qu’il devient urgent de régler la question de la distribution du cannabis thérapeutique. Par conséquent, existe-t-il une fenêtre d’opportunité au lendemain du 17 octobre 2018 pour y apporter une solution ?

Depuis la légalisation du cannabis thérapeutique en 2001, le Québec a été l’une des provinces canadiennes les plus hostiles au niveau de sa prescription, notamment en raison de l’obligation faite aux patients d’être inscrits au Registre Cannabis Québec afin de pouvoir obtenir une prescription d’un médecin pour l’usage de cannabis à des fins médicales. Producteurs et patients ont ainsi pointé du doigt le Registre comme étant l’une des raisons qui expliquerait le retard du Québec en matière de prescription du cannabis thérapeutique. En septembre dernier, le Collège des médecins du Québec (CMQ) a mis à jour ses directives concernant les ordonnances de cannabis à des fins médicales et a mis fin à l’obligation d’inscrire les patients au Registre. De plus, le CMQ souligne que les médecins peuvent dorénavant prescrire du cannabis à des fins médicales hors du cadre d’un projet de recherche, en respectant les nouvelles directives du CMQ. Enfin, il reconnaît l’émergence de nouvelles données scientifiques venant soutenir l’utilisation du cannabis à des fins médicales. Ces éléments favoriseront désormais l’usage du cannabis thérapeutique et permettra au Québec de combler son retard en matière de prescriptions par rapport au reste du Canada.

Pour l’ensemble des groupes militant pour la distribution du cannabis médical en pharmacie, la question de la sécurité des patients est au cœur du problème. Dans son communiqué de presse, émis le 17 octobre dernier, l’AQPP décrit bien les craintes des différents acteurs : « Le cannabis thérapeutique, en tant que produit prescrit sous ordonnance médicale, devrait être traité comme tout autre médicament et bénéficier d’une distribution en pharmacie, sous la supervision d’un professionnel de la santé. Avec l’arrivée des magasins de la Société québécoise du cannabis (SQDC), il existe un risque réel que les patients sous cannabis thérapeutique décident d’aller s’y approvisionner, principalement en raison de leur proximité et de leur facilité d’accès. » En plus des raisons évoquées par l’AQPP, mentionnons l’écart de prix qu’il est possible de constater entre le cannabis récréatif vendu à la SQDC et celui vendu directement par les producteurs qui sont les seuls présentement à être en droit de fournir le cannabis thérapeutique aux patients. Le prix de ce dernier pouvant être de 20 % à 73 % plus onéreux, selon le type de produit et sa teneur en THC. Dans le contexte où une infime partie des assureurs et des tiers payeurs remboursent actuellement le cannabis thérapeutique, il est fort possible que certaines personnes, par exemple celles à faible revenu, soient tentées d’obtenir auprès de la SQDC un produit similaire à leur prescription pour un moindre coût.

Il est légitime de se questionner sur les raisons soutenant que la distribution du cannabis thérapeutique ne soit toujours pas permise en pharmacie. Sur cette question, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux se renvoient la balle. Les gouvernements provinciaux argumenteront que le cannabis à des fins médicales relève du fédéral et de Santé Canada et qu’ils ne peuvent pas agir en cette matière. Lorsque vous interrogez le fédéral, celui-ci vous mentionnera que les provinces peuvent agir sans restriction sur le mode de distribution du cannabis thérapeutique sur leur territoire. Alors, qui doit agir ? La mise à jour du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales, que Santé Canada a produit le 24 août dernier, ne vient pas spécifier la question de la distribution. Il faudra, à court terme, que l’un des deux paliers gouvernementaux initie la démarche.

C’est ici que se trouve la fenêtre d’opportunité. En effet, le nouveau gouvernement de François Legault a clairement indiqué son intention d’apporter des modifications à la loi existante. La CAQ souhaite en effet faire passer de 18 à 21 ans l’âge auquel il sera permis de consommer du cannabis, en plus de restreindre les endroits où il sera permis d’en fumer. Ces changements législatifs obligeront le gouvernement à déposer un nouveau projet de loi. Il s’agit là d’une belle occasion d’aborder la question de la distribution du cannabis à des fins médicales. Dr Carmant, ministre responsable de ce dossier, est familier avec la question du cannabis thérapeutique et il sera intéressant de voir l’ouverture que la CAQ montrera à l’égard de ce sujet sensible.