L’électeur québécois a toujours su donner du fil à retorde aux stratèges politiques et fascinés les observateurs de par son imprévisibilité. Et il serait très téméraire pour un analyste politique de prédire, avec confiance, le dénouement de la présente élection fédérale au Québec.
Les équipes de campagne des différents partis politiques en lice doivent prendre en considération le contexte québécois et cela n’est pas toujours évident. Cette réalité est aussi vécue par les différentes organisations basées à l’extérieur du Québec et qui souhaitent y faire des affaires.
En tant que firme pancanadienne et internationale, nos stratèges du Québec ont souvent l’occasion de conseiller et de planifier les meilleures approches sur le marché québécois à des organisations dont le centre de décision et les opérations ne sont pas uniquement basés au Québec. Nous profitons aujourd’hui du contexte électoral fédéral pour dresser certaines similitudes entre les approches préconisées par les principaux partis fédéraux au Québec et celles des organisations non-politiques.
C’est seulement une question de langue, n’est-ce pas?
Le différenciateur le plus évident entre le Québec et le reste du Canada est bien sûr la langue. Les communications, qu’elles soient publiques ou auprès d’autres organisations privées ou gouvernementales, se font en français. Un réflexe commun, mais erroné, est de conclure qu’il sera suffisant de simplement traduire les communications en français. Faire affaires au Québec est plus compliqué qu’une question de traduction.
Les valeurs et façons de faire sont ici différentes, les environnements politiques, d’affaires et culturels aussi. Votre clientèle, vos parties prenantes, et vos compétiteurs ne sont pas tous les mêmes. Même si le spectre de l’indépendance du Québec n’est plus d’actualité en 2021, un fort sentiment d’appartenance et de protectionnisme habite les Québécois. C’est d’ailleurs sur ce nationalisme que la Coalition avenir Québec (CAQ) a bâti son offre politique et s’est fait élire en octobre 2018.
Nous observons que l’engouement pour l’achat local est grandissant, et quand je parle de « local », je parle de « québécois », et non « canadien ». À défaut d’un choix québécois, le choix canadien sera néanmoins bien perçu. Mais cela créé un environnement où de plus petits joueurs régionaux peuvent mettre des bâtons dans les roues d’organisations nationales et internationales pourtant bien implantées.
C’est la même chose au niveau politique. Le cas le plus évident est la présence du Bloc Québécois (BQ), qui est dans l’univers politique du Québec depuis 30 ans et qui fait élire à chaque élection un nombre non négligeable de députés à la Chambre des Communes. Est-ce que l’un des trois autres partis majeurs au Canada pourrait faire campagne au Québec sans se soucier de la présence du BQ? Cela serait grandement déconseillé!
Le Bloc ne prendra jamais le pouvoir, mais peut contribuer à diviser le vote dans certaines circonscriptions québécoises. Conséquemment, la formation politique peut, indirectement, enlever de précieux sièges aux partis aspirant former le prochain gouvernement et hériter d’un mandat majoritaire. Un simple « copier-coller », traduit en français, de la stratégie nationale n’est donc pas suffisante.
Ne pas simplement savoir à qui tu parles, mais comprendre celui à qui tu parles!
Un autre exemple est au niveau de la segmentation de marché. Votre client ou votre partie prenante type du Québec peut-être bien différente que celui et celle avec qui vous êtes en contact dans le reste du Canada. Prenons une fois de plus la comparaison politique. Normalement, un parti fédéral peut compter sur la présence d’un parti provincial sœur, ce qui lui assure une base d’électeurs plus enclins de voter pour le grand frère fédéral, ainsi qu’une organisation électorale bien établie. Or, au Québec, la CAQ forme un gouvernement majoritaire avec un taux de popularité élevé et des intentions de vote frôlant les 50 %. Voilà un électorat qui est intéressant à cibler pour un parti fédéral souhaitant obtenir du succès au Québec!
Mais la CAQ n’a pas d’affiliation officielle à un parti fédéral, contrairement à plusieurs gouvernements provinciaux du reste du Canada. Il s’agit d’une véritable coalition de militants de divers horizons politiques. D’ailleurs, seriez-vous en mesure de dire pour quel parti fédéral vote l’électeur typique de la CAQ? Les sondages démontrent qu’il y a en effet une grande diversité d’allégeance chez les caquistes, se séparant presque équitablement entre le BQ, le Parti Libéral du Canada (PLC) et le Parti Conservateur du Canada (PCC).
Il devient donc extrêmement difficile de cibler l’électeur québécois. Les partis doivent donc s’y prendre différemment, notamment en misant davantage sur des thèmes ou des mesures précises plutôt que strictement sur une allégeance politique. L’électeur québécois est ouvert et attentif aux propositions et est davantage campé sur des idées, des principes et des sentiments plutôt que sur la loyauté absolue envers un parti.
Une telle situation créé son lot de défis tout comme d’opportunités. C’est la même chose pour la clientèle des organisations privées. Il est important de bien comprendre les priorités de vos interlocuteurs, clients ou parties prenantes, et surtout ne pas les prendre pour acquis. Ils seront assurément attentifs à votre discours, mais ne baseront pas leurs réflexions uniquement sur des questions de réputation ou de fidélité à votre marque. Le principe de « ma famille a toujours voté X, donc je vote X » n’est pas très présent au Québec. Vous devez comprendre les enjeux qui les animent et trouver une réponse qui s’y attarde.
La cohérence et l’authenticité
Un élément crucial pour avoir du succès au Québec est la présence d’un interlocuteur de confiance. Pour une organisation privée, avoir un porte-parole francophone, avec un message adapté et ciblant les enjeux prioritaires, tel que vu précédemment, est un excellent point de départ. Mais tout cela ne servira en rien si vous n’avez pas l’air authentique. Si vous ou votre organisation adopte une approche stratégique uniquement pour plaire et que vous ne croyez pas réellement ce que vous dites, les Québécois le détecteront rapidement, et vous perdrez leur confiance. Des parallèles avec les partis politiques peuvent une fois de plus être dressés. Par exemple, en 2011, le Nouveau Parti Démocratique (NPD) a fait des gains spectaculaires au Québec jamais obtenus auparavant. Pourquoi? Les électeurs québécois ont massivement adopté Jack Layton, et pas nécessairement la plateforme électorale néo-démocrate. Mais cette dernière a suffisamment été ajustée pour rendre l’offre politique crédible aux yeux des Québécois, et cela a résulté en des votes dans l’isoloir le jour de l’élection. Mais comme indiqué précédemment, la loyauté politique de l’électeur québécois n’est pas assurée, et la vague orange de l’élection de 2011 ne fut qu’éphémère.
Un manque de cohérence est aussi un piège à éviter. Il serait tentant d’ajuster notre discours pour le Québec, tout en conservant un propos contradictoire dans le reste du pays. Mais les Québécois ne se laisseront pas berner! Un exemple frappant de la présente élection concerne le projet de tunnel reliant Québec et Lévis. Ce projet est évalué à au moins 7 milliards de dollars, polarise l’électorat québécois, mais est une priorité du gouvernement caquiste.
Les Conservateurs ont déjà annoncé qu’ils sont pour ce projet, et vont le financer. Le NPD est contre, pour des questions environnementales. Mais autant les Libéraux que les Bloquistes sont incapables de se positionner clairement sur ce projet. Tout comme le NPD, ils font le calcul qu’ils pourraient perdre l’appuis des environnementalistes en appuyant ce projet. Or, l’optimisme démontré par le PLC pour le projet du tunnel Massey en Colombie-Britannique est difficilement réconciliable avec son hésitation pour le projet au Québec et démontre un manque de cohérence.
L’équipe libérale n’a toujours pas trouvé de réponse satisfaisante aux yeux du gouvernement du Québec jusqu’à maintenant. Et le chef du BQ, Yves-François Blanchet, souhaitant satisfaire aux demandes du premier ministre François Legault, a appuyé publiquement le projet, ce qui a fait réagir négativement plusieurs de ses propres candidats et sa base de supporteurs du Parti Québécois, farouchement opposés. Il a alors corrigé le tir en prétextant avoir exprimé une opinion personnelle, pour ensuite conclure que son parti était neutre.
Tous les ingrédients sont nécessaires pour faire lever votre gâteau
Afin d’avoir du succès au Québec, vous devrez idéalement bâtir une stratégie regroupant l’entièreté des principes énumérés précédemment, tout en l’ajustant aux besoins contextuels de chaque organisation et secteurs d’activités. Les différents partis politiques en lice pour la 44e élection fédérale canadienne ont tous à la fois l’un ou l’autre des volets de leur stratégie qui peut les rendre vulnérables, et d’un autre côté, une opportunité de capitaliser sur les faiblesses de leurs opposants. Il s’agit d’en être bien conscient. Avoir du succès en affaires au Québec pour une organisation pancanadienne demande un engagement et un effort particuliers. Cela est d’autant plus vrai pour les partis politiques fédéraux. Il sera très intéressant de voir comment ces derniers ajusteront leurs stratégies afin de faire des gains au Québec. Avec ses 78 circonscriptions, La Belle Province pourrait bien jouer un rôle crucial à la réalisation des objectifs de chaque parti, que ce soit une majorité, la prise du pouvoir, ou le statut d’opposition officielle.