Cette longue campagne électorale tire à sa fin. Difficile de croire qu’elle dure déjà depuis plus de cinquante jours. Les sondages publiés à un rythme quasi quotidien placent inexorablement les trois grands partis au coude à coude, les résultats n’ayant guère varié que de quelques points de pourcentage depuis le déclenchement de cette élection marathonienne.
Mais au fait, qu’est-ce qui a changé depuis le 1ͤ ͬ août? Après avoir sillonné le pays, les chefs ont-ils vraiment touché les électeurs? Ont-ils réussi à faire valoir le bien-fondé de leur plateforme?
Journaliste accompli et habile intervieweur, Peter Mansbridge, chef d’antenne de l’émission The National à CBC, a récemment offert une vitrine à chacun des chefs dans des entrevues en tête à tête. Loin de l’ambiance agitée et confuse du débat des chefs qui avait lieu une semaine plus tard, M. Mansbridge s’est entretenu avec chacun d’eux selon un canevas semblable, posant les mêmes questions pour faciliter la comparaison.

En campagne, une telle occasion est un investissement sûr. Si le premier ministre Harper avait peu à gagner vu la prédisposition de l’auditoire de CBC, Mulcair et Trudeau, en revanche, misaient gros sur cette vitrine.
J’ai vu passer de nombreuses campagnes fédérales depuis 1979, et j’ai analysé ces entrevues à la lumière de mon expérience.
« Pourquoi voter pour vous? » : la question piège
Les réponses m’ont laissé l’impression qu’aucun chef n’avait gagné de nouveaux appuis auprès de quelque groupe d’électeurs que ce soit. Pour tout dire, j’ai même été franchement étonnée qu’ils éludent tous la question. C’était l’occasion de faire valoir leur leadership, leur expérience et leurs qualités personnelles; ils ont préféré se retrancher derrière leurs politiques. Ces habitués de la communication savent pourtant que la dimension personnelle prend toute son importance dans une campagne électorale. Qui plus est, Harper avait une carte maîtresse dans son jeu : l’expérience acquise en matière de politique intérieure et internationale durant sa décennie à la tête du gouvernement.
Comparaison des prestations des chefs
Les entrevues étant menées en tête à tête, il est difficile d’évaluer leur retentissement sur l’auditoire. Habituellement à l’aise dans ce genre de situation, Harper s’est montré tantôt distrait, tantôt distant, ce qui lui vaut à mon avis la note de sept sur dix. Sa personnalité s’efface derrière l’essence de son propos. Fidèle à son attitude conciliante, Mulcair mérite huit sur dix. Il a toutefois laissé deux questions en suspens, qui hanteront le reste de sa campagne : l’équilibre budgétaire et la gestion du Sénat. C’est Trudeau qui s’en est le moins bien sorti, et je lui donne seulement six sur dix. Loin d’inspirer confiance, son discours sur l’économie trahit plutôt son manque d’expérience. Il a donné des réponses évasives à plusieurs reprises. Quant à May, elle a livré une bonne performance, bien que ses politiques ne recueillent pas l’adhésion souhaitée. Elle a tout de même bénéficié d’une excellente vitrine.
Et les intentions de vote?
Commençons par les chefs des deux principaux partis d’opposition. Tous deux courtisaient les électeurs du camp adverse pour qui leur parti est le deuxième choix. Mulcair tentait de séduire les sympathisants libéraux peu convaincus par le plan économique du parti, tandis que Trudeau s’efforçait de rallier les électeurs néodémocrates insatisfaits de la ligne dure du parti en matière d’équilibre budgétaire. Chacun faisait valoir des politiques aux antipodes de celles de son rival. Harper, sachant très bien que la majorité de l’auditoire de CBC ne lui est pas favorable, s’adressait clairement aux « influenceurs » : les médias, les leaders d’opinion et les chefs d’entreprise.
Qu’en sera-t-il dans les urnes?
C’est Mulcair qui semble en sortir gagnant, bien que l’entrevue ne lui vaudra pas forcément plus de votes au jour décisif.
À mon avis, les entrevues et la couverture médiatique qui les entourent ne suffiront pas à faire pencher les indécis. En réalité, toute la question est là : les Canadiens sont-ils prêts à donner une nouvelle chance au gouvernement ou veulent-ils du changement? Il y a deux côtés à la médaille. La performance des chefs a eu son importance dans la campagne, tout n’est pas simplement une question de vents favorables.
Quelle est la suite du programme? Le débat des chefs en français, le 24 septembre, sur les ondes du consortium de télédiffuseurs. Mulcair, en tête des sondages au Québec, sera la cible de ses rivaux, en particulier Harper et Trudeau qui cherchent à gagner du terrain dans la province.