La première partie de ce billet se trouve ici.
Le 26 septembre 2012, les procureurs nous présentent un de leurs enquêteurs maison : Éric Vecchio. Alors que les Québécois observent depuis plusieurs semaines le fruit de leurs taxes servir à théoriser les formes que prend le crime organisé, M. Vecchio leur présente, en primeur, une série de vidéos mettant en scène une poignée de vieux mafieux, dans leur repère secret, recevoir de l’argent comptant de plusieurs entrepreneurs en construction.
La preuve est maintenant faite. Il y a quelque chose de pourri au royaume de la construction et il ne s’agit pas d’une simple allégation ou d’une conclusion hâtive d’un journaliste zélé; il s’agit de vidéos de la GRC montrant de l’argent comptant qui se déplace à même les chaussettes de mafieux réputés.
Comment vulgariser un phénomène aussi complexe pour informer une population entière?
La solution : Lino Zambito.
Au départ, Lino Zambito tient sa crédibilité du fait qu’il est l’une des vedettes des films se déroulant au repère de la mafia. Il ne peut donc pas mentir! On l’a tous vu délibérément payer ce qui, selon tous les experts du crime organisé que nous avons préalablement entendus, semble être le célèbre pizzo!  Pour les procureurs de la commission, l’importance de M. Zambito ne s’arrête pas là. Son entreprise a obtenu des contrats à Montréal, à Laval, au MTQ et même dans sa petite municipalité de la couronne nord. Il s’avère également que M. Zambito est très actif politiquement. Argent comptant, financement occulte des partis politiques, organisation de cocktails de financement, pizzo, corruption, collusion, alouette! Prenez le mandat de la commission Charbonneau et chaque aspect est couvert par son témoignage. Seul le volet syndical n’est pas touché par ce témoin.
Jusqu’à aujourd’hui, les questions posées aux témoins prennent régulièrement leur source dans les allégations de cet entrepreneur.
Un seul témoin et c’est fini. Le Québec connaît désormais l’histoire au complet.
Pour la suite, fonctionnaires corrompus, entrepreneurs menacés, fonctionnaires se disant innocents, organisateurs politiques qui en savent trop, complices de malfaiteurs : tout tourne autour des révélations de M. Zambito.
Pourquoi la substance était-elle précédée de la théorie? Dans la présentation de Valentina Tenti sur le fonctionnement des mafias en Italie, un thème est récurrent : l’exploitation. Cette citation résume bien les témoignages que nous entendons depuis l’arrivée de Lino Zambito :

« (…) it could be very interesting even to interpret these in a broad sense, even in terms of social capital, for example, which represents all those connections and contacts that Mafia members can create and develop and an enterprise can exploit or develop for personal enrichment.[1] »

Le golf, le vin, les repas copieux, les soirées de Noël, l’argent comptant et même les menaces! Ça vous rappelle des témoignages récents? Les pratiques de plusieurs personnages maintenant connus du public sont des répliques directes de ce qui se fait ailleurs comme criminalité.
Après avoir entendu une série de fonctionnaires qui, exception faite de messieurs Leclerc et Surprenant, n’avaient pas beaucoup de substances intéressantes pour la commission, des entrepreneurs sont venus nous confirmer le fonctionnement de la collusion. Encore une fois, Valentina Tenti nous avait prévenus :

« It means that even legitimate individuals can ask Cosa Nostra to help to create, to exploit some contacts, good contacts that could be helpful to, for their business, for their life, and this is an aspect very interesting. »[2]
« They just use that… deviant practices that are already common in a certain environment, and they exploit that deviant system for their purposes. »[3]

Non seulement ce que nous tentons d’éluder existe, mais le phénomène est même documenté!
Les procureurs doivent composer avec l’impatience de la population à connaître et régler un problème qui dure depuis trop longtemps. Le choix de l’ordre des témoins a un impact direct sur la crédibilité des travaux de la commission aux yeux de la population.
Dans les derniers jours des audiences, la crédibilité de la commission a été mise en doute par plusieurs observateurs. Certains des derniers témoignages ressemblent effectivement à un dérapage dans les travaux de la commission. Notons, par exemple, la divulgation des noms des gens qui ont fréquenté le club privé 357c depuis 2005, sans indiquer les raisons des rencontres, ni même si elles paraissent légitimes ou non aux yeux des enquêteurs.
Cependant, rappelons-nous qu’après une vingtaine de témoins seulement, nous en savons déjà plus que jamais sur les problèmes qui caractérisent l’industrie de la construction au Québec.
Faisons preuve de patience! Les procureurs de la commission continueront d’assembler une à une les pièces de cet immense casse-tête qui commence à peine à prendre forme.


[1] Témoignage de Valentina Tenti, question 25
[2] Ibid, question 148
[3] Ibid, question 330