A chaque campagne, les électeurs les attendent avec impatience et espèrent beaucoup de ces échanges. Du côté des chefs, ces exercices exigent énormément de préparation, rien n’est laissé à l’improvisation, les mordus les suivent à la lettre et d’autres se fient aux commentaires du lendemain mais honnêtement, personne n’est indifférent. On parle bien de débat DES CHEFS, car toute l’attention se porte sur eux. Ce sont des moments uniques et déterminants dans le déroulement d’une campagne et les trois débats auxquels ont participé les chefs, avec un recul, nous en ont appris beaucoup sur les partis en présence.

Nous avons eu droit à des débats très animés et surtout très différents dans leur format et dans la dynamique entre les chefs qui y ont participé. La langue dans les différents débats a été un facteur déterminant pour ceux qui ne sont pas confortablement bilingues.

Je ne miserais pas sur le fait que la population ait suivi les trois débats du début jusqu’à la fin. Surtout en raison de la cacophonie totale qui a régné au deuxième débat et qui a probablement fait fuir ceux qui avaient été convaincus que ce grand exercice démocratique ne leur en apprendrait pas beaucoup plus sur les plates-formes et les positions des différents partis.

Mais qu’avons-nous appris comme électeur de ces débats?

Justin Trudeau a dû défendre son bilan et il a dû expliquer à de multiples reprises ses décisions contestées de façon pas toujours claire et convaincante entre autres dans l’affaire SNC Lavallin, l’achat de Trans Mountain et sa position face à la loi québécoise sur la laïcité. Sa prestation est demeurée sensiblement la même lors des trois débats avec des niveaux d’énergie différents. Il a pu, à travers les tirs parfois groupés, présenter malgré tous ses engagements prioritaires, ceux qui touchent la famille moyenne.

Suite à un premier débat, où il est ressorti très amoché, Andrew Scheer a modifié sa stratégie pour passer à l’attaque face à son principal ennemi lors du débat anglais de mi-campagne. Selon le lieu d’écoute à travers le Canada, il a été qualifié de combattif voire pugnace et il a surement plu à ses candidats, équipiers et électeurs qui attendaient un chef qui savait se tenir debout. Le troisième débat plus pondéré lui a permis de mieux élaborer sur ses engagements tout en poursuivant ses attaques contre ses adversaires en prenant le soin d’inclure le chef du Bloc Québécois dans sa ligne de mire.

Jagmeet Singh du NPD avait, au lancement de la campagne, un déficit de notoriété important partout au Canada, mais surtout au Québec. Malgré le handicap de la langue, il a su gagner le cœur des auditeurs par une approche sensible, quelques remarques bien placées de même que des expressions francophones bien répétées qui ont été reprises en rafale dans les jours suivant les débats. Il a insisté sur les 3 engagements majeurs de son parti, non chiffrés et parfois à cheval sur les juridictions provinciales. Mais il est apparu comme un chef à l’écoute, soucieux du sort des moins nantis et convaincant dans ses intentions de servir les canadiens

Personne n’avait vraiment prévu la remontée du Bloc, alors que ce parti avait peine à se relever lors de la dernière année. Yves-Francois Blanchet a eu la voie totalement libre au Québec dans les premières semaines de campagne, mais il est rapidement passé dans le camp de l’ennemi à abattre lors du dernier débat. Sa prestation est demeurée la même, en bon communicateur qu’il est et il avait bien anticipé les salves de ses adversaires fédéralistes sur la pertinence du Bloc à Ottawa. Fort de sondages très favorables, il a continué à parler aux Québécois en s’associant aux politiques et orientations de la CAQ.

Madame May, du Parti vert, nous a tous convaincus que son enjeu principal est l’environnement et hélas peut-être pour elle, presqu’uniquement l’environnement. Son français lui a donné du fil à retordre dans son débat au Québec et elle a eu de la difficulté à bien faire passer ses messages. Mais elle a su mettre ses adversaires devant leurs contradictions et leur a rappelé avec ardeur qu’aucun d’eux ne préconisait la bonne avenue pour s’attaquer réellement aux changements climatiques.

Maxime Bernier, du PPC, comme dans le cas de madame May, n’a participé qu’à deux débats. Il n’a su convaincre personne de son programme qu’il a à peine effleuré lors du débat anglais, alors qu’il était plus préoccupé à lancer des boulets à tous ses adversaires. Toutefois, lors du dernier débat, il s’est démarqué par ses réponses sincères sur les enjeux financiers et n’a pas hésité à dire clairement que son objectif premier était de balancer le budget avant d’envisager quelque dépense que ce soit. Il a pu en quelques mots exposer certains éléments de sa plate-forme qui rejoignent surement des électeurs plus campés à la droite.

Les débats profitent à qui?

Les deux plus grands gagnants furent ceux qui avaient besoin de se faire connaitre soit Jagmeet Singh et Yves-Francois Blanchet. Dans le cas de monsieur Blanchet, il avait comme objectif de mobiliser, autant les souverainistes que les nationalistes qui font toujours confiance à François Legault, et de mener les québécois à refaire confiance au Bloc, ceux-là même qui avaient délaissé le parti dans les dernières élections.

Monsieur Singh avait un haut mur à escalader avant la campagne, mais il semble que les barrières soient tombées mais que l’organisation sur le terrain est nettement déficiente et il est difficile pour lui de faire rayonner son message, d’où l’importance majeure des débats.

Justin Trudeau devait défendre son bilan et répondre aux interrogations des déçus et indécis. Il a surement solidifié sa base, et il a cherché à faire des gains tant au Québec qu’en Ontario, donc il se devait d’être performant dans les deux langues.

Monsieur Scheer est celui qui a le moins bénéficié de cet exercice en raison de sa contre-performance lors du premier débat, ce qui l’a obligé à adopter une attitude de rattrapage. Il souhaitait surement augmenter sa députation au Québec, mais les débats ne lui auront possiblement pas permis de faire le plein désiré.

Il reste encore quelques jours avant le vote définitif et en politique, à notre ère des médias sociaux et de l’information en continu, cela représente une éternité. Mais les tendances commencent à se faire sentir et quand la vague part, impossible de l’arrêter.

Enfin, espérons que les électeurs qui ont suivi les 6 heures de débat seront en mesurede se faire une idée plus claire sur leur choix.