lA DEUXIÈME MI-TEMPS
La semaine de la fête du Travail coupe la campagne électorale en deux. À l’amorce de la deuxième mi-temps, la machine électorale est bien en branle et les partis l’alimentent à grands coups de publicités et de visites. Les avions des chefs libéral et néodémocrate sont maintenant pleinement fonctionnels et leurs occupants multiplient les annonces à gauche et à droite en prévision du deuxième débat national, axé sur un enjeu clé de la campagne : l’économie.
LES RÉPERCUSSIONS DE LA CRISE DES RÉFUGIÉS SYRIENS
La crise des réfugiés syriens et la réponse du Canada à cette tragédie ont accaparé l’attention des médias cette semaine et, de plusieurs façons, accentué le clivage perçu entre les trois principaux partis. Les conservateurs ont adopté une approche calme et calculée et fait appel à la raison des électeurs, tandis que les libéraux et les néodémocrates ont choisi d’animer leur passion, un contraste qui s’étend à la campagne dans son ensemble.
LE PARTI CONSERVATEUR
Les conservateurs ont fait preuve de maladresse dans leur approche de la crise des réfugiés. Le premier ministre Harper affecte en effet un ton et une humeur qui le déconnectent de l’ensemble des Canadiens. La décision du chef conservateur de ne pas modifier son plan de soutien aux réfugiés au moment même où des gouvernements étrangers et certaines provinces s’engageaient à en faire davantage a nui à sa campagne. La semaine tire à sa fin et Stephen Harper révèle peu à peu le détail de son approche rationnelle de la crise.
La crise des réfugiés est loin d’être la seule épine dans le pied des conservateurs : les sorties malhabiles de candidats sur les réseaux sociaux, les séquelles de l’affaire Duffy et la reconfiguration de l’équipe de campagne se traduisent par une baisse des intentions de vote. Certaines enquêtes placent même le parti en troisième position. Le parti de Stephen Harper a amorcé sa campagne fort de l’appui de sa base traditionnelle en cherchant à convaincre les indécis et à tirer parti du fractionnement du vote là où la chose est possible. En un mois, le Parti conservateur a perdu près de cinq points de pourcentage aux mains des libéraux dans les moyennes nationales, ce à quoi il a décidé de répondre par une vague d’annonces ciblées comme un soutien accru à l’industrie du homard et le dévoilement d’une série de crédits d’impôt.
Le PARTI LIBÉRAL
Justin Trudeau, à l’opposé de Stephen Harper, fait campagne le cœur sur la main. Initialement critiqué pour sa promesse de faire croître l’économie du « cœur vers le haut », il apparaît maintenant comme un chef doté de compassion, image cimentée par sa prise de position dans la crise des réfugiés syriens et son entrevue avec Peter Mansbridge de la CBC plus tôt cette semaine.
Plusieurs annonces des libéraux visent directement le « cœur » des électeurs. Cette semaine seulement, Trudeau a promis des logements abordables et un meilleur système d’assurance-emploi aux Canadiens. Les libéraux continuent aussi d’annoncer des mesures de financement ciblées, comme la promesse d’investir dans le transport en commun à Richmond Hill, à Edmonton et à Vancouver, dans le but d’amorcer la discussion et de faire sortir le vote.
Les libéraux ont monté dans les sondages, comme le Nanos Nightly Tracking Poll (en anglais), qui les place premiers au pays et en avance dans les provinces maritimes et en Ontario. Trudeau dépasse les attentes partout où il passe et continue de se distinguer par ses politiques en matière d’économie et l’attention qu’il porte à certaines régions. Le chef libéral a indiqué qu’il serait absent du débat Munk, puisque ce dernier était « insuffisamment bilingue » et que le coût des billets pour y assister était trop élevé, favorisant l’élite du Centre Munk.
Le NOUVEAU PARTI DÉMOCRATIQUE
D’une certaine façon, le chef du NPD Thomas Mulcair a tenté de jouer au funambule entre le cœur et la raison. Il a déployé des efforts monumentaux en début de campagne pour positionner son parti au centre du spectre politique, notamment en promettant l’équilibre budgétaire et en annonçant un soutien accru aux secteurs de l’automobile et de l’aérospatiale. Ces appels de Mulclair à la raison des électeurs visaient explicitement à réduire l’écart qui le sépare de Stephen Harper en matière d’économie. En réaction aux images troublantes qui nous sont parvenues de Turquie, le chef néodémocrate a toutefois joué la carte de l’émotion en s’engageant à mettre fin à la mission militaire du Canada au Moyen-Orient.
Pour plusieurs, Thomas Mulcair, à l’instar de Stephen Harper, n’a pas le charisme de Justin Trudeau et ne paraît pas aussi sympathique que lui dans les médias. L’annonce du plan néodémocrate de soutien aux réfugiés syriens a généré une couverture médiatique moindre que celle du plan libéral, répercutant ainsi l’idée que Justin Trudeau est celui qui est allé au « cœur » du problème. Il faut dire que l’égalité pour tous prônée par le NPD est un peu plus ésotérique que le plan de relance économique des libéraux.
Le NPD continue de solidifier sa base. Malgré une faible baisse la semaine dernière dans les sondages, le parti est en avance en Colombie-Britannique et on peut s’attendre à le voir récolter la moitié des votes au Québec, où il compte sur l’appui de la FTQ, une importante centrale syndicale. En Ontario, la Fédération du travail de l’Ontario donne son soutien inconditionnel aux néodémocrates, alors qu’Unifor parraine les députés actuels du parti tout en encourageant ses membres dans les autres circonscriptions à voter pour le candidat qui a le plus de chance de battre les conservateurs.
Quelles sont les prochaines étapes?
Malgré les efforts de plusieurs groupes d’intérêts et autres parties prenantes, plusieurs dossiers n’ont toujours pas fait l’objet d’annonces officielles. Aucun des trois partis principaux n’a encore abordé les sujets de l’assurance médicaments, des soins à domiciles et de la gestion de l’offre. L’annonce d’une réunion ministérielle concernant le Partenariat Transpacifique pourrait toutefois raviver la conversation sur l’avenir d’un système basé sur l’offre.
Les chefs, en préparation pour le débat du jeudi 17 septembre organisé par le Globe and Mail et Google Canada, devraient se faire discrets la semaine prochaine au chapitre des annonces. On peut toutefois s’attendre à recevoir le programme chiffré du NPD d’ici le débat. Le NPD et le Parti vert seront d’ailleurs probablement les seuls à publier par écrit une plateforme officielle au cours de cette campagne. Le fameux Livre rouge des libéraux et les cinq principales priorités des conservateurs semblent avoir été remplacés par des promesses quotidiennes et des interactions directes ou par médias interposés avec l’électorat.
Le débat télévisé sur l’économie devrait accentuer le clivage entre la façon dont les trois chefs abordent l’équilibre budgétaire, la gestion de la dette et les politiques fiscales, ainsi que la création d’emploi et la croissance économique. D’un côté, Stephen Harper défendra son programme de gestion économique en faisant appel à la raison des électeurs, alors que les dépenses ciblées et l’approche par la relance de Mulclair et Trudeau viseront leur cœur.